lundi 31 janvier 2011

Une semaine avec l'iPad

Il se trouve que j'ai récupéré par hasard un iPad, dans des circonstances qui ne peuvent s'expliciter qu'autour d'une bonne bière. N'ayant aucune attente particulière par rapport à cet objet - qui commence à fasciner et inquiéter les entreprises - je vais donc pouvoir en faire un compte-rendu dépassionné et objectif.

Pour commencer, l'engin est assez élégant, quoique pesant. On reconnait la qualité du design Apple, y compris en ce qui concerne l'emballage.

La prise en main est bonne - il y a peu de chances de le laisser choir par inadvertance.

Ce qui ne marche pas

A l'usage, voici plusieurs lacunes qui apparaissent assez rapidement:
  1. Tout d'abord, ça n'est pas l'objet ubiquiteux qu'on nous promet. J'ai un toujours un téléphone dans la poche, mais emporter son iPad demande une certaine planification (y a-t-il un vestiaire à destination, etc.). Et le sortir dans le métro pour lire son journal favori relève encore de la science-fiction.
  2. C'est très cher à l'usage. Autant l'iPhone nous avait habitués à des applications gratuites (en version bridée, ou financée par la publicité), autant les applications iPad se destinent immédiatement à un public de gens "qui ont les moyens".
  3. Même les applications gratuites font un usage intensif du "in app purchase". Laisser ses enfants jouer avec l'iPad peut rapidement se transformer en drame. Le jeu "village des schtroumpfs" en est la caricature: tous les éléments du jeu sont payants. Si les enfants aiment la salsepareille, papa va devoir sortir l'oseille …
  4. L'absence de multifenêtrage fait cruellement défaut quand on vient de la bureautique traditionnelle. Impossible de copier/coller rapidement un morceau de texte d'une application dans une autre: il faut suspendre la première application, ouvrir la deuxième, puis revenir à la première …
  5. La communication avec le monde extérieur se limite au navigateur Web (impossible de brancher une clé USB par exemple). Du coup la suite d'applications Google devient rapidement indispensable pour entrer et sortir de l'engin (prendre des notes, sauvegarder des signets, etc.)
  6. Impossible d'avoir confiance dans les applications disponibles sur l'App Store. Il existe bien des clients RDP et SSH gratuits par exemple, mais il faut réaliser un sérieux background check sur l'éditeur avant de saisir son mot de passe root dans une telle application.
  7. Mon efficacité au clavier virtuel reste inférieure à celle d'un clavier réel, en particulier à cause de la séparation entre lettres, chiffres et signes de ponctuation dans trois claviers distincts. Autant dire que taper des lignes de commandes shell avec un clavier virtuel relève de l'épreuve de nerfs. Les gens qui utilisent des mots de passe robustes prennent rapidement l'habitude de les mémoriser dans les applications ...
  8. Il est impossible d'imprimer (par exemple un plan Mappy).

Maintenant il est clair que cet objet remplit parfaitement son rôle dans plusieurs domaines.

Ce qui marche

Sa supériorité sur un PC (et sa qualité principale à mon avis) c'est que … ça marche ! Grâce à la maitrise complète du matériel et du système d'exploitation par Apple, et au cloisonnement des applications tierces, plus besoin de se préoccuper d'une incompatibilité entre un antivirus et une protection logicielle par exemple …

Sans parler des problèmes de drivers insurmontables sur PC (surtout depuis la cohabitation entre drivers Windows XP, drivers Windows Seven 32 bits, et drivers Windows Seven 64 bits - lorsqu'ils existent). Sur mon Dell E4300, même en installant la "suite de sécurité Trust Wave Embassy" livrée par Dell, je ne sais pas comment utiliser le lecteur d'empreinte digitale ou le lecteur RFID intégré. Quant au "hub de sécurité Broadcom", il contient des commandes cachées[1], et ne peut être reflashé officiellement que sous MS-DOS. De même pour la carte 3G intégrée[2], qui est horriblement instable par ailleurs.

Alors que sous iPad … tous les périphériques (WiFi, accéléromètre, etc.) fonctionnement out of the box !

La gestion de l'énergie est également un point fort de l'appareil. Plusieurs jours d'autonomie en veille, plusieurs heures en fonctionnement, et surtout un allumage instantané.

A contrario, sous Windows et encore plus sous Linux, la gestion de l'énergie a toujours été un problème insurmontable:

  • Autonomie ne dépassant pas les 4h quel que soit le matériel.
  • Charge erratique (Windows et Linux ne s'accordent pas sur la capacité et la performance de ma batterie).
  • Impossibilité de prévoir l'autonomie réelle lorsque la batterie se dégrade (ce qui arrive de plus en plus rapidement).
  • Modes de fonctions incompréhensibles (veille, veille hybride, hibernation) et ne fonctionnant pas toujours (selon le matériel ou le support du noyau).
  • Mise en veille ne fonctionnant pas à cause d'un driver bogué.
  • Allumage intempestif de la machine (par exemple pour installer des correctifs de sécurité[3]).
  • Et surtout … plusieurs secondes pour sortir de veille dans tous les cas.

Dès qu'il me faut consulter rapidement un article ou un plan, je sors désormais l'iPad - je sais que j'en ai pour moins de 5 secondes et que je peux m'interrompre à tout moment sans risquer de tout perdre.

Quant aux logiciels, on trouve par exemple des jeux de qualité tout à fait correcte pour moins de 10 euros. Disponibles immédiatement et sans problèmes de protections logicielles incompatibles.

Enfin l'écran tactile est un must pour les jeunes enfants qui ne peuvent pas se servir d'un clavier et d'une souris. D'ailleurs les éditeurs ne s'y sont pas trompés et proposent de nombreuses applications pour les plus jeunes (livres interactifs, jeux, etc.). En 10 minutes, un enfant de 18 mois maitrise complètement l'interface graphique (y compris l'allumage et le déverrouillage) - il est autonome sur n'importe quel jeu (testé et approuvé).

Conclusion

En bref, l'iPad n'est pas cet engin révolutionnaire et indispensable qui vous est décrit par les fanboys ayant fait la queue pour dépenser leurs 500€ (au bas mot et hors frais d'utilisation).

Mais quand on manipule l'engin au quotidien, on réalise à quel point l'informatique "traditionnelle" s'est endormie dans un statu quo frustrant pour les utilisateurs, qui ont pris l'habitude de travailler avec des systèmes contre-intuitifs, lents et difficiles à maintenir, alors que rien ne le justifie vu l'argent injecté chaque année dans l'industrie logicielle.

C'est pourquoi je ne jetterais pas Chrome OS avec l'eau du bain comme le fait Gartner. En repensant les fondements de l'informatique (mais à quoi peut bien servir un BIOS en 2011 ?) et en s'appuyant sur les interfaces graphiques conviviales du Web 2.0, Google a une chance lui aussi de secouer le cocotier avec un produit un peu différent dans l'esprit (ne serait-ce que par son facteur de forme).

Quant aux entreprises, il leur faudra bien renoncer un jour à leurs applications VB6 et IE6, sous peine de se retrouver avec une informatique tellement dépassée que la "cloudification" massive (et tant redoutée) sera le fait des utilisateurs mécontents. Mais ceci est une autre histoire …

Billet rédigé avec Windows Live Writer 2011

[1] http://natisbad.org/E4300/
[2] http://natisbad.org/E4300/Dell_Wireless_5530_AT_cmd_ref.html
[3] http://www.nynaeve.net/?p=160