Fiat Lux
J’ai assisté à la réunion d’information PASSI du mardi 10
septembre dernier. Et je n’étais pas le seul. Vu l’épaisseur du listing au
point de contrôle, il devait bien y avoir 500 personnes invitées, pour une
centaine effectivement présentes dans la salle.
Personnages principaux
Pour cette réunion clé dans le paysage de la prestation de
services en SSI, il faut admettre que l’ANSSI avait réellement effectué un
travail amont de fourmi en recensant toutes les structures qui réalisent des
audits de sécurité en France. SSII de toutes tailles, freelances, et même associations – Club PSCO, CESIN,
OSSIR, CLUSIF,
Club 27001 – à l’exception notable des
FPTI (canal historique ou pas).
Sur scène :
- Contre-amiral Dominique Riban (directeur adjoint de l’ANSSI)
- Yann Tourdot (ANSSI)
- Armelle Trotin (LSTI)
- Hervé Schauer (HSC)
- AMOSSYS
L’absence de Sogeti/ESEC, troisième larron de la procédure
expérimentale, a été remarquée. Y avait-il un message politique ?
Hervé Schauer a été égal à lui-même, et nous a gratifié des
quelques saillies drolatiques telles que « je ne sais pas combien ça a
coûté car je n’ai jamais été très fort en comptabilité analytique » ou
« vous n’avez pas besoin de formation pour présenter le PASSI mais on est
prêt à vous en vendre quand même ».
Enfin il faut rendre hommage au maitre de cérémonie - Yann
Tourdot - qui a encaissé pendant presque 3 heures le feu roulant des questions
de la part d’un public pas vraiment conquis (c’est un euphémisme) avec un calme
olympien. Je cherche encore à découvrir le secret de cette incroyable
résistance au troll : pratique de la méditation Asubha ou perfusion de
Lexomil ?
Acte 1 : le message est délivré
Les hostilités démarrent à 14h, modulo les quelques minutes
de retard de M. Schauer. Le contre-amiral Dominique Riban nous remémore par son
bref exposé que l’ANSSI est la digne héritière de la DCSSI. On ne va pas parler
audit de code Java ou recherche de XSS dans des applications PHP – non, nous
sommes ici entre représentants de la « chaine de cyberdéfense » (le
terme a été employé une bonne demi-douzaine de fois).
Son allocution brève et précise délivre la clé du PASSI en
quelques minutes seulement : l’ANSSI pourra se faire remplacer dans ses
interventions par un PASSI de son choix, au TJM de 1000€/jour
(indexé sur le point de la fonction publique), et ce pour une durée illimitée.
Car malgré un effectif cible de 500 personnes à horizon 2015, l’ANSSI est
débordée par la situation calamiteuse dans les administrations et les grandes
entreprises françaises (sans toutefois oser employer le mot d’échec de la
sécurité).
J’aurais alors pu me lever et partir à la suite du
contre-amiral, mais j’aurais peut-être eu l’impression d’avoir fait le
déplacement pour rien (d’autant qu’il n’y avait ni café ni goodies). Je restais donc pour l’acte 2, durant lequel les détails
d’implémentation allaient être âprement débattus.
Acte 2 : la principale subtilité
Mon objectif n’est pas de retranscrire ici deux heures de questions
par ordre chronologique, mais plutôt par ordre de pertinence.
L’un des points essentiels qui a été soulevé concerne le
niveau de technicité recherché chez les auditeurs (tout le monde connaît la
rigueur des entretiens d’embauche à l’ANSSI). L’objectif du PASSI est de labelliser
des prestataires de confiance, non
pas de trier sur le volet les meilleurs experts français. La différence est
subtile ; sans vouloir faire de mauvais esprit je pense qu’elle conduira
les usual suspects à être
automatiquement labellisés indépendamment de leur capacité à délivrer une
prestation de qualité.
Acte 3 : le diable est dans les détails
Le schéma de certification est un processus assez lourd, à
l’instar du transparent consacré au sujet. Pour obtenir le précieux sésame,
l’entreprise devra se faire auditer, et
disposer de consultants labellisés dans les domaines pour lesquels elle
candidate (audits organisationnels, audit de code, etc.).
En ce qui concerne l’entreprise, elle devra se plier à un
audit de son réseau interne, et démontrer que le service « audits et
tests » n’a aucune adhérence avec le reste de l’entreprise, considéré
comme « hostile ». Curieuse approche qui consiste à laisser les
auditeurs gérer eux-mêmes leur infrastructure ; on sait pourtant qu’ils ne
sont pas les premiers à appliquer les conseils qu’ils donnent aux autres.
Le niveau d’exigence n’a pas été clairement défini, mais des
gros mots ont été utilisés, tels que « produits certifiés » ou
« IPSEC ». On peut s’attendre toutefois à un saut qualitatif par
rapport aux pratiques actuelles, car il a été évoqué le fait que les tests et
la rédaction du rapport devaient être réalisés sur deux machines distinctes,
l’auditeur n’étant pas administrateur de la deuxième. Par ailleurs tous les
échanges de documents avec les clients devront être chiffrés, ce qui promet des
heures d’amusement compte-tenu du niveau d’interopérabilité entre les
différentes solutions.
En ce qui concerne les personnes, elles devront passer un
examen écrit (de type QCM) et un examen oral par catégorie. Visiblement le taux
de succès selon les catégories varie entre 50% (test d’intrusion) et 90% (audit
organisationnel) ; en phase expérimentale 15 consultants ont été labellisés sur
le test d’intrusion.
Pour l’anecdote, bien qu’elle se défende avec véhémence de
piller les ressources du privé, l’ANSSI a d’ores et déjà recruté la majorité de
ces consultants. Par contre l’histoire ne dit pas ce qu’il est advenu des
autres… qui peuvent toutefois retenter leur chance jusqu’à 2 fois par an.
Une fois l’étape initiale franchie, il reste pour
l’entreprise à payer un audit de contrôle tous les 18 mois et un audit de
re-certification tous les 3 ans, sauf si un événement vient à remettre en cause
la labellisation, comme par exemple le départ de tous les auditeurs dans une
activité donnée.
Tout ceci a bien évidemment un coût, à propos duquel il a
été difficile de tirer les vers du nez de LSTI, qui est de facto la seule société habilitée à dérouler la procédure de labellisation.
Une estimation grossière donne 6 jours pour l’audit de
l’entreprise et environ 600€ par consultant présenté à l’examen, ce qui reste
modeste. Mais de l’aveu même des participants au programme beta, le temps de préparation
est considérable, aussi bien pour l’entreprise que pour les candidats. Ce qui
fait dire à un participant : « c’est le même prix qu’un stand
aux Assises, mais avec un ROI moins évident ».
Acte 4 : il est frais mon label
L’implémentation retenue par l’ANSSI est la suivante :
une « attestation de compétences » est remise à l’auditeur labellisé.
Il peut s’en prévaloir lors de la réponse aux appels d’offres, mais la liste
des auditeurs certifiés reste « secrète ». Ce qui veut dire qu’elle
ne sera pas publiquement affichée ni sur le site de l’ANSSI ni sur le site des
entreprises labellisées, mais aucune sanction n’est prévue s’il se crée demain
un groupe LinkedIn des auditeurs PASSI. Une sorte de secret de polichinelle,
donc.
L’ANSSI, soucieuse d’éviter la débauche de personnel (ou pas),
précise que l’attestation de compétences n’est valable que pour exercer dans
l’entreprise qui l’a financée. Si l’auditeur change d’entreprise, il devient
automatiquement « incompétent », mais peut être admis à repasser
l’examen.
Détail amusant : afin d’éviter les conflits d’intérêt
lors des audits de labellisation, LSTI a choisi de faire appel à des profs
(voire des étudiants). « Ce n’est pas de la sous-traitance, c’est du
mandatement » nous signale Armelle Trotin. Comme quoi il peut exister des
passerelles entre l’industrie et le monde universitaire !
Acte 5 : le futur
Bien entendu tout ceci n’a de sens que si le RGS 2.0 est
publié un jour, puisque le PASSI ne sera contraignant que pour les victimes de
ce document. L’ANSSI est confiante dans le fait que ce document verra le jour
« avant 2015 ». Avec un délai de 5 ans entre la publication du RGS
1.0 et le décret d’application, on est en droit de ne pas partager le même
optimisme.
Néanmoins l’ANSSI poursuit dans sa lancée afin d’adresser
toutes les activités de la « chaine de cyberdéfense ». Après la
prévention avec les audits et tests d’intrusion (si tant est que cela prévienne
quoi que ce soit), des labels vont être créés pour les prestataires en
détection d’intrusion (SOC), en investigation (forensics) et en reconstruction – ainsi que dans un tout autre
domaine, celui du Cloud.
Petite anecdote : il est d’ores et déjà prévu de tester
les candidats dans ces catégories sur leur capacité à rétro-concevoir des
échantillons de malwares. Une double
révolution culturelle est donc en marche …
Conclusion
Une poignée de sociétés ont d’ores et déjà fait la démarche
de candidater à la procédure PASSI « finale ». Toutefois pour
l’écrasante majorité des prestataires avec qui j’ai pu discuter en « off »,
il est urgent d’attendre. Les coûts engendrés sont considérables eût égard au
volant d’activité que représentent réellement les clients soumis au futur RGS
2.0. Même les appels d’offres publics les plus récents – dont certains sont des
contrats « cadre » sur 4 ans – ne font aucune mention du PASSI.
A moyen terme, on risque donc de voir le marché se
fragmenter entre quelques « gros » opérateurs, qui pourront être
imposés par l’ANSSI chez certains « clients » (essentiellement les
OIV), et le reste des SSII qui continueront à traiter 95% des affaires
courantes. Tout ça pour ça.
6 commentaires:
"""
Viens, on va réussir a suivre le mouvement, il ne faut pas s'inquiéter!
Il nous manque juste de vrais techniques, des commerciaux, et un gars qui parle anglais (et ses contacts)!
"""
Merci pour ce compte-rendu.
J'attend avec impatience le label cloud-ready.
btw, LFTI :
il fournira à la première demande du client toutes informations relatives à son identité, son personnel, ses partenaires ou sous traitants, ses méthodologies et pratiques utilisées pour ses tests d'intrusion, sous réserves de la protection de son savoir faire ;
Merci pour le résumé. Question : un consultant non français peut-il être "certifié" bon consultant ?
@Anonyme: bonne question, mais le mieux est de la poser directement à l'ANSSI. J'aurais trop peur de bloguer n'importe quoi :)
Attention, il n'est pas prévu que l'ANSSI contracte des prestations d'audit à des PASSI. L'objectif est que l'ANSSI ne peut auditer tous les SI des administrations (centrales et locales) et des OIV. Ils choisiront donc les systèmes qu'ils veulent auditer.
Pour les autres, les administrations devront/pourront (sera peut-être spécifié dans le RGS v2.0) commanditer leurs audits à des PASSI.
Vu les TJM imaginés par les acheteurs dans les derniers marchés publics, il y en a qui ont avoir de belles surprises: 1000 euros ... PASSI sûr.
Vincent : pour que le système PASSI soit non discriminatoire et donc utilisable dans les marchés publics, l'ANSSI ne devra pas se baser sur les nationalités. Sinon c'est le contentieux assuré au premier marché public.
Enregistrer un commentaire